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Hakim Arabdiou
1 novembre 2008

Commémoration du 20e anniversaire des sanglants événements du 5-Octobre 1988, en Algérie

Commémoration du 20e anniversaire des sanglants événements, du 5-Octobre 1988, en Algérie

Par Hakim Arabdiou

Une assistance nombreuse a participé, à l’appel des associations le Manifeste des Libertés et Pluri-elles Algérie, à la commémoration, le 11 octobre dernier, à la salle Louis-Lumière à Paris, du 20e anniversaire des événements sanglants, du 5-Octobre 1988, en Algérie. Au programme : projection d’un documentaire du cinéaste algérien, Merzak Allouache, réalisé presque à chaud sur ces événements, et deux tables-rondes animées, l’une par El Kadi Ihsène, journaliste en Algérie, et Nourredine Saadi, écrivain et juriste, et l’autre par Benjamin Stora, historien, ainsi que par Aïssa Kadri et Didier Le Saout tous deux sociologues. Cette rencontre fut clôturée par quelques chansons du chanteur algérien, Cheikh Sidi Bémol.

Le 5 octobre 1988 et les trois jours suivants, des émeutes de jeunes ont éclaté dans plusieurs villes d’Algérie. Elles se sont soldées par la destruction et le pillage d’un grand nombre d’infrastructures et de symboles de l’État et du FLN. La répression fut cependant terrible.

L’opposition parle de plusieurs centaines de morts et de blessés parmi ces jeunes, ainsi que des centaines d’autres arrêtés et torturés dans des commissariats, des brigades de gendarmeries et dans un camp de toile de l’armée. Deux jours avant le début de troubles et pendant leur déroulement, Chadli Bendjedid, président de la république, avait ordonné l’arrestation et la torture de plusieurs dizaines de communistes, dont des professeurs d’université, du Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS), clandestin.

Mais le choc dans l’opinion a été que pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie indépendante, des centaines jeunes avaient été torturés.

La solidarité avec les victimes ne s’est pas fait attendre. A Alger, Oran et dans plusieurs villes, ainsi que dans l’immigration en France, des universitaires, des artistes et des intellectuels, essentiellement de gauche, et certains démocrates, se mobilisèrent à cette fin. La mesure emblématique a été la mise sur pied en Algérie, d’un Comité national contre la torture; comité présidé, symboliquement, par une ancienne résistante de la guerre de libération nationale (et actrice de toutes les luttes féministes), qui a connu, elle aussi, à vingt ans, les affres de la question par les hommes de la Xe division de parachutistes, de l’alors colonel Jacques Massu. Ce comité édita également le Cahier noir d’Octobre, contenant les témoignages de suppliciés, tous amnistiés le 10 octobre suivant, en même temps que leurs tortionnaires.

Pour ce qui est du rôle de ces journées dans l’avènement du multipartisme en Algérie, qui peut être aussi ingénu au point de croire que quelques milliers de jeunes, sans conscience politique, sans revendications précises et s’adonnant principalement aux destructions, en ont été les artisans ? là où n’ont pas réussi les forces de gauche, infiniment mieux organisées, et aux militants aguerris et disposant de réseaux de sympathisants et autres points d’appui, tant dans la société civile que dans les entreprises, les syndicats, les institutions, etc.

C’est en effet un secret de polichinelle, pour la grande majorité de la classe politique, des journalistes et des intellectuels en Algérie, que c’est l’ancien président Chadli Bendjedid, à la tête du courant le plus puissant dans le pouvoir, et ses hommes de mains dans les appareils de sécurité de l’État, qui sont les instigateurs de ces émeutes.

C’est ainsi que durant l’été, précédant ces événements, les pénuries habituelles des produits de bases s’étaient aggravées ; ensuite le curieux discours de ce président, le 19 septembre 1988, appelant quasiment les citoyens à l’insurrection contre l’État. Ce discours fonctionna également comme un signal pour la diffusion d’une rumeur, de plus en plus amplifiée, les quinze jours suivants, annonçant une explosion, le 5 octobre 1988, alors qu’aucune force politique de gauche, encore moins les islamistes, n’avait appelé en ce sens.

De même que pendant les troubles, les Algériennes et les Algériens avaient été surpris par l’absence totale de forces de l’ordre dans les rues, comme pour laisser champ libre aux casseurs. Des informations concordantes, confirmées ultérieurement, révélèrent (entre autres) que policiers et gendarmes avaient été consignés, et qu’ordre leur avait été donné de ne pas intervenir.

Ils avaient également remarqué la présence d’inconnus entraînant les jeunes dans la rue et à détruire -uniquement- les cibles étatiques et du FLN. Il s’agissait en fait d’éléments du lumpenprolétariat, instrumentalisés à cette fin, par un clan du pouvoir, dont ils avaient, dit-on, libérés certains la veille de prison. Il était ensuite relativement aisé de provoquer des troubles, coordonnées à l’échelle nationale, à partir d’une situation économique et sociale déjà explosive, et d’une population qui en avait ras-le-bol.

En réalité, dès la mort, le 27 décembre 1978, du président Houari Boumediene, chef de fil des nationalistes révolutionnaires, au sein de l’Etat-FLN, le pouvoir tomba dans l’escarcelle de la bourgeoisie ultra- libérale et compradore, représentée par le président Chadli Bendjedid, auxquelles s’est alliée la bourgeoisie bureaucratique, dont le principal représentant avait été Mohamed-Chérif Messaâdia, chef effectif du Front de libération nationale.

Ces deux couches sociales, parasitaires, se sont développées, grâce à leurs positions dans les appareils militaire, économique, administratif, politique d’État (FLN, organisations sociales de masses, gouvernement…) Les principaux alliés de ces courants furent la droite, l’extrême droite et les fascistes musulmans, expression principalement à ce moment-là des intérêts de la bourgeoisie mercantile et de la grande propriétaire foncière. Cette dernière couche, bien que largement discréditée par sa collaboration avec l’Occupant colonialiste et liquidée économiquement, par la réforme agraire, quelques années auparavant, ne demeurait pas moins socialement et politiquement puissante.

Ces deux fractions de classes au pouvoir avaient entamé, à coups « réformes », le démantèlement du secteur public économique (en Algérie, on disait plutôt secteur d’État) et ses nombreux acquis sociaux. Ce démantèlement s’est toutefois trouvé confronté à une limite : la disparition totale de ce secteur menaçait l’existence de la bourgeoisie bureaucratique, qui en avait fait sa vache à lait.

Or le FLN, parti unique, et ses organisations sociales de masses, également uniques (dont les syndicats plus ou moins caporalisés par ce parti) constituait la principale place forte de cette dernière. D’où une lutte féroce entre elles dans les plus hautes sphères de l’Etat-parti. Il était donc crucial pour les ultra-libéraux de faire sauter, en le contournant, faute de pouvoir le contrôler entièrement, cet obstacle (relatif), afin qu’eux-mêmes puissent poursuivre leur dépeçage du secteur public et le détournement à leur profit les richesses de la nation, au détriment les classes populaires. Ceci d’autant plus facile que le multipartisme, qui avait sonné historiquement le glas du parti unique, était un processus planétaire.

Hakim Arabdiou


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