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Hakim Arabdiou
9 mai 2009

Interview de Nadia Geerts

http://www.gaucherepublicaine.org/lettres/614.htm#goArticle8

Interview de Nadia Geerts

Par Hakim Arabdiou

Nadia Geerts, agrégée de philosophie et professseure de morale, est une figure connue des combats laïque et républicain en Belgique, et de plus en plus dans les courants similaires en France. Elle préside aussi, depuis sa fondation en 2000, le Cercle républicain (www.crk.be) : une association qui milite pour l'abolition de la monarchie en Belgique. Elle est membre également, depuis de nombreuses années, du comité de rédaction de RésistanceS (www.resistances.be), l'observatoire de l'extrême droite en Belgique. Nadia Geerts a écrit deux ouvrages : Baudouin sans auréole (en 1993) et L'école à l'épreuve du voile (en 2006). Elle a également dirigé un ouvrage collectif la Laïcité à l'épreuve du XXIè siècle (en 2009) aux éditions Luc Pire.  Elle a crée, en 2007, le Réseau d'Actions pour la Promotion d'un Etat Laïque (R.A.P.P.E.L.) dont l’objectif principal est de faire introduire le principe de laïcité dans la Constitution belge.

Hakim Arabdiou : Beaucoup d’Européens et de non-Européens ignorent que l’Etat belge n’est pas laïque.

Nadia Geerts : La Constitution belge ne mentionne en effet nulle part la laïcité. Trois de ses articles, cependant, sont interprétés par certains comme le fait que la Belgique serait, de fait, un Etat laïque : l’article 19 de la Constitution, qui garantit la liberté des cultes, leur exercice public et la liberté de manifester ses opinions en toute matière ; l’article 20, qui prévoit que « nul ne peut être contraint de concourir d’une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d’un culte ni d’en observer les jours de repos », et l’article 21, qui stipule que « l’État n’a le droit d’intervenir ni dans la nomination ni dans l’installation des ministres d’un culte quelconque.  ». Cet article prévoit également que « le mariage civil devra en principe toujours précéder la bénédiction nuptiale.  » Personnellement, je ne pense pas que ce soit suffisant pour qu’on puisse réellement parler d’un Etat laïque. Ainsi, les cultes sont subventionnés en Belgique (6 cultes sont reconnus, auxquels il faut ajouter la laïcité organisée, et prochainement le bouddhisme et l’Eglise adventiste), et des cours de religion sont dispensés dans l’enseignement public.

Hakim Arabdiou : Vous nous mettez d’ailleurs en garde contre l’emploi impropre par la législation belge du terme « neutralité » de l’Etat envers les religions et… la laïcité.

Nadia Geerts : La neutralité est un concept fourre-tout, qui peut servir à justifier des attitudes très différentes. Ainsi, la laïcité française promeut une certaine vision de la neutralité de l’Etat, qui est à mille lieues de celle que nous pratiquons en Belgique: chez nous, très souvent, on considère que l’Etat est neutre, dès lors qu’il ne privilégie aucune confession ou conviction, sans que cela interdise, par exemple, à l’Etat de financer les cultes. A cette confusion s’ajoute le fait que la laïcité étant en Belgique financée sur le budget des cultes, elle apparaît à beaucoup comme étant un mouvement philosophique à l’égal des religions, une sorte de "religion athée". De ce fait, il devient extrêmement difficile de promouvoir la laïcité en tant que principe politique d’organisation de l’Etat.

Hakim Arabdiou : Vous relevez le paradoxe que 80 % des règlements des établissements scolaires publics ou privés interdisent les signes religieux à l’école, notamment le voile islamiste (car se sont les seuls qui le revendiquent), tout en prodiguant un enseignement des trois religions monothéistes pour les élèves qui le souhaitent. 

Nadia Geerts : Aujourd’hui, ce chiffre (qui date de 2006), est même passé à 90 %. Mais cette interdiction se fait par le biais des règlements d’ordre intérieur des établissements scolaires ; les responsables politiques ayant toujours refusé jusqu’ici d’édicter une règle commune. Je pense que la difficulté tient en effet en partie (outre les considérations électoralistes) au fait qu’il est difficile de soutenir à la fois que les religions ont droit de cité dans l’école (sous forme de 2h de cours hebdomadaire où chaque élève a le droit de se voir enseigner les préceptes de son culte) et que les signes d’appartenance religieuse ne peuvent y entrer. C’est cette incohérence que le R.A.P.P.E.L. veut lever en remplaçant les cours de morale et de religion, par un cours commun à tous les élèves.

Hakim Arabdiou : Votre courant, le Cercle républicain, considère que le combat contre la l’alignement par les pouvoirs publics belges du statut de la laïcité sur celui des religions, est comme un préalable au combat pour l’instauration de la laïcité dans votre pays.

Nadia Geerts : Ce n’est pas la position du Cercle républicain, mais celle du R.A.P.P.E.L. Nous pensons en effet que tant que la laïcité sera considérée comme un "septième culte", elle ne pourra acquérir une position de surplomb consistant à organiser la cœxistence des différents cultes et de l’athéisme.

Hakim Arabdiou :  Vous estimez corrélativement dommageable que cet indispensable combat de clarification du concept de laïcité soit sacrifié par une partie du courant laïque belge, car ce sacrifice contribue à retarder l’avènement de la laïcité en Belgique.

Nadia Geerts : Historiquement, les laïques belges ont très longtemps été en position de faiblesse, dans un pays majoritairement catholique. Aussi ont-ils fini par opter pour la revendication de leur reconnaissance en tant que culte, conscients qu’ils ne parviendraient pas, à moyen terme, à instaurer un Etat véritablement laïque. Cette attitude peut se comprendre, compte tenu des rapports de force existant à l’époque, et je ne jette donc pas la pierre aux laïques d’hier. Mais en même temps, il faut bien constater que la situation actuelle constitue une entrave à l’instauration d’un véritable Etat laïque. Evidemment, cela impliquerait à mon sens la mise en cause principielle du financement des cultes, et donc de la laïcité. Ce qui explique que certains laïques soient si réticents aux propositions du R.A.P.P.E.L.

Hakim Arabdiou :  Vous montrez dans votre ouvrage combien les habitants de Belgique, y compris les musulmans, sont, comme ailleurs, confrontés à l’offensive convergente de la droite conservatrice, de l’extrême droite et des fascistes musulmans contre certaines valeurs humaines universelles, notamment celles des musulmanes, avec la complicité active de la frange antilaïque au sein de la gauche.

Nadia Geerts : Oui, il y a clairement une division dans le monde laïque, entre (comme le pointe très justement Caroline Fourest) ceux qui sont prirotiairement antifascistes (et s’opposent donc au fascisme islamiste comme à tous les autres) et ceux qui sont prioritairement anticolonialistes (et promeuvent donc une alliance avec les forces les plus réactionnaires de l’islam contre l’impérialisme occidental). Il est ainsi assez édifiant de lire, sous la plume de certains intellectuels dits progressistes, un soutien inconditionnel au Hamas et au Hezbollah par exemple. Manifestement, certains laïques éprouvent beaucoup de difficultés à être aussi critiques envers le cléricalisme musulman qu’ils ne l’ont été et ne le restent envers le cléricalisme catholique, parce qu’en fonction d’une lecture marxiste de certaines problématiques sociétales, ils choisissent d’être inconditionnellement du côté de l’opprimé musulman. Or, il me semble que si, indéniablement, les populations d’origines immigrées sont encore fréquemment victimes de racisme, cela ne justifie pas le soutien inconditionnel à toutes les exigences religieuses de la frange la plus réactionnaire d’entre eux. Le discours d’extrême droite augmente encore la confusion en stigmatisant l’islam, attitude propice à l’amalgame qui consiste à dire que dès lors que l’extrême droite critique l’islam, toute personne critiquant les dérives fondamentalistes de cet islam est également raciste. Or, il y a infiniment plus de points communs entre le monde tel que le rêvent les intégristes de tous poils et les extrémistes de droite qu’entre la vision du monde des progressistes et celle des intégristes.

Hakim Arabdiou :  Ne pensez-vous pas que les laïques et les féministes en Occident n’évoquent pas suffisamment la grande majorité des musulmanes dans leurs pays, ou en Occident, qui  refusent de porter le hidjab ; que beaucoup le portent sous la contrainte ou le matraquage idéologique ; et qu’une très grande partie parmi celles qui le portent ne respectent pas l’objectif assigné à cet habit, qui est de contrôler leur sexualité et de les priver de certains droits sociaux.

Nadia Geerts : C’est évident. Tout comme il est évident que l’argument "culturel" ne tient pas pour justifier le port du voile : les voiles sombres et enveloppants qu’on voit de plus en plus se propager dans les rues de Belgique n’ont rien de commun avec le voile traditionnel que portaient les Marocaines : c’est un code vestimentaire directement importé d’Arabie Saoudite, et dont la volonté est clairement de mettre la femme sous contrôle. Actuellement, on monte en épingle le discours de quelques femmes ou jeunes filles qui prétendent que "leur voile, c’est leur choix", mais on passe sous silence le fait que, partout dans le monde musulman, le voile est le premier instrument des islamistes pour imposer leurs codes sociétaux, ce dont nombre de femmes de ces pays sont parfaitement conscientes. Personnellement, je n’ai rien contre les femmes qui choisissent librement de porter le voile. Mais il faut bien comprendre que dans le cadre scolaire, on ne peut, contrairement à ce que prétend une certaine frange de la gauche, défendre à la fois le droit des filles à porter le voile et leur droit de ne pas le porter. Les règles qui prévalent à l’intérieur des établissements scolaires devant nécessairement valoir pour toutes, on ne peut que choisir entre soutenir le droit des filles à porter leur voile (en abandonnant alors celles qui le portent sous la contrainte) et soutenir le droit de celles qui voudraient se débarrasser de leur voile, au moins dans l’espace émancipateur de l’école. Personnellement, entre ces deux attitudes, mon choix est fait.

Hakim Arabdiou

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